
La fin des années 1990 avait connu un rebondissement heureux concernant les relations diplomatiques entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. La « Politique du rayon de soleil » (Sunshine policy) du président Kim Dae-jung avait fait de ce dernier le premier chef d’État sud-coréen à se rendre à Pyongyang en 2000. Il reçut par la suite le Prix Nobel de la paix la même année. En 2018 et 2019, Moon Jae-in et Donald Trump rencontrent chacun à trois reprises Kim Jong-un. Mais le 16 juin 2020, le poste de liaison intercoréen basé à Kaesong en Corée du Nord, et ouvert en septembre 2018, est réduit en poussière par le pouvoir nord-coréen. Depuis, c’est la descente aux enfers des relations diplomatiques entre les deux Corées. Tout espoir d’unification coréenne ou de coexistence pacifique est-il terminé ? Faisons le point avec l’actualité.
Fin des discussions pacifiques entre le Nord et le Sud
« À partir de midi mardi 9 juin [2020], nous coupons la ligne de liaison avec les autorités du Sud », annonçait la présentatrice de la télévision publique de la RPDC. Le week-end suivant, Kim Yo-jong, la sœur de Kim Jong-un proférait des menaces : « Dans peu de temps, l’inutile bureau de liaison entre le Nord et le Sud sera complètement détruit au cours d’une scène tragique ». Le 16, ce même poste est complètement détruit.

L’année suivante, 2021, l’arrivée au pouvoir de Yoon Suk-yeol issu du Parti du Pouvoir du Peuple (PPP) n’arrange pas la situation. Ce parti politique, considéré comme conservateur, est ouvertement contre les avancées pacifiques des relations entre les deux Corées réalisées par les gouvernements précédents. Sous le point de vue des conservateurs sud-coréens, l’unification ne peut être envisagée uniquement suite à l’abandon du régime politique en vigueur dans le Nord. Autrement dit, le Nord doit devenir comme le Sud, capitaliste et libéral. Sinon, il reste un ennemi, car communiste et totalitaire.
Pression sud-coréenne vue par la Corée du Nord
Avec le gouvernement conservateur, la Corée du Sud se rapproche davantage des États-Unis et du Japon, comme le démontre le sommet trilatéral tenu en août 2023. Or, ces deux pays sont des ennemis jurés de la Corée du Nord. Ce rapprochement est donc perçu comme une menace pour Kim Jong-un et son gouvernement. Et comme pour donner raison à la crainte de la Corée du Nord, des renforcements dans les exercices militaires conjoints entre la Corée du Sud et les USA ont accru. Ce qui ne pouvait que hérisser le gouvernement nord-coréen.
Comprendre pourquoi il y a pression du Sud sur le Nord
Pour comprendre qu’il y a une certaine (forte) pression exercée par la Corée du Sud et ses alliés, et que cette pression peut être négative et contre-productive (si on a une vision de paix dans le respect partagé), il faut changer de point de vue un instant.
On se cantonne la plupart du temps à totalement diaboliser la Corée du Nord et son pouvoir totalitaire. On a tendance à oublier la nature humaine de Kim Jong-un et de l’ensemble des membres de son gouvernement. Vu de l’intérieur, le pays est relativement seul, fragile avec une idéologie que personne ou presque ne partage. La RPDC est seule face au monde. Et son frère du Sud n’est pas fiable dans le temps. Quand les conservateurs sont au pouvoir c’est la mésentente totale, quand les démocrates sont au pouvoir on essaie de se réconcilier avec le Nord tel qu’il est, même si c’est dans l’espoir d’une évolution de son régime politique.
Vu de l’extérieur, sans prendre en considération les mouvements politiques du Sud, on pense facilement que le Nord est instable et changeant. Mais, finalement, ne serait-ce pas dû au fait des revirements politiques du Sud ? Au moins en partie. Peut-être que la Corée du Nord ne sait-elle pas sur quel pied danser face à une politique changeante du Sud ?
Les mots durs de Yoon Suk-yeol

On a compris que le PPP prône davantage le rejet brut et total du régime du Nord. Et Yoon Suk-yeol répète souvent des mots durs, comme « principal ennemi », tout en répondant par l’agressivité aux menaces du Nord. Par exemple, à peine six mois après son élection, le président sud-coréen évoquait « une invasion territoriale de fait ». Menaces qui s’intensifient au fur et à mesure des discours anti-Nord : ce qui en fait le cas d’école d’un cercle vicieux. Mais, ce n’est guère une surprise, Yoon Suk-yeol entendait faire preuve de fermeté avec Pyongyang dès le mois de mai 2022 après sa victoire à la présidentielle.
Le plan d’unification vue par Yoon Suk-yeol
En août 1994, un plan d’unification coréenne a été dévoilé sous l’administration de Kim Young-sam. Ce plan, nommé en français « Formule d’unification de la communauté nationale », a participé au rapprochement des deux pays les années suivantes. La « Politique du rayon de soleil » (Sunshine policy) du président Kim Dae-jung n’est pas sortie d’un chapeau magique ; elle a été le fruit d’un travail de plusieurs années.
Principales clés de la Formule d’unification
La vision et les détails spécifiques de la « Formule d’unification de la communauté nationale de Corée » ont varié en fonction des propositions des gouvernements nord et sud-coréens à différents moments de l’histoire. On peut néanmoins regrouper quelques points importants qui ont animé ce plan d’unification :
- Réconciliation et coopération entre les deux pays, par le biais de dialogues et de coopérations dans différents domaines (économie, culture, sport) afin de reconstruire la confiance mutuelle.
- Approche graduelle, car l’unification ne peut se faire en un jour. Une approche progressiste est nécessaire avec des mesures concrètes pour réduire les tensions militaires et augmenter les échanges.
- Autonomie et leadership coréen. Il est impératif de souligner l’importance de l’autonomie dans le processus d’unification tout en acceptant le soutien et la coopération de la communauté internationale.
- Paix et coexistence pacifique. Une paix durable sur la péninsule coréenne en résolvant les questions de sécurité de manière pacifique et en s’engageant à une coexistence pacifique.
- Création d’une fédération ou d’une confédération. Certaines propositions ont suggéré la formation d’une fédération ou d’une confédération comme moyen de réaliser l’unification. Les deux systèmes politiques et économiques pourraient alors coexister tout en partageant une souveraineté nationale.
Sous Yoon Suk-yeol, la Corée du Sud révise sa vision pour l’unification

Aujourd’hui, pour la première fois depuis 30 ans, Yoon Suk-yeol et son gouvernement souhaitent établir une nouvelle vision pour l’unification avec la Corée du Nord. Ils désirent à tout prix introduire le principe de démocratie libérale. Ce qui va totalement à l’encontre des idées de coexistence pacifique respectant l’existence d’une différence entre les deux systèmes politiques. Autrement dit, pour espérer une unification, la Corée du Nord devra devenir une démocratie libérale à l’image de la Corée du Sud et des États-Unis.
Le 8 mars 2024, le ministère de l’Unification sud-coréen a fait part de son plan révisé pour l’unification coréenne. Et, le ministère, fidèle à la dureté de Yoon vis-à-vis du Nord, argumente cette révision : « En réponse au changement de la politique de la Corée du Nord vers une position antination et antihistoire, l’année 2024 sera le moment le plus approprié pour présenter activement notre vision pour l’unification et conduire le changement du Nord ». Les mots sont encore une fois durs et la volonté du gouvernement actuel est de faire plier la RPDC en la rendant économiquement libérale.
Cette philosophie d’une démocratie libérale est déjà introduite dans la « Formule d’unification » consultable sur Internet.
Unification coréenne impossible ?
Aujourd’hui plus que jamais, les deux idéologies Nord et Sud s’opposent et s’affrontent. Les deux pays de la péninsule désirent préserver leurs idéologies qui leur sont propres. Cela peut être assez compréhensible, mais sans l’once de relativisme nécessaire à la bonne entente entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, on risque plutôt de se placer dans une impasse. Yoon Suk-yeol tente ici de placer la démocratie libérale comme étant la meilleure réponse positive permettant la richesse du peuple ; ce qui est largement discutable, on le sait. En procédant ainsi, il fait apparaître plus que jamais Kim Jong-un et son idéologie sous un caractère diabolique. Comme si les forces du Bien affrontaient les forces du Mal. Or, on le sait, le Mal s’immisce partout et le Bien est planté partout. La paix étant un trésor inestimable, espérons que la situation s’améliore dans les années à venir.
Sources :
- (10/06/2020). Corée du Nord et Corée du Sud ne se parlent plus. Franceinfo.
- (16/06/2020). La Corée du Nord fait voler en éclats le bureau de liaison avec la Corée du Sud. Franceinfo.
- (16/06/2020). La Corée du Nord fait exploser le bureau de liaison conjoint à Kaesong. YonhapNews.
- (08/05/2022). Corée du Sud : le nouveau président Yoon Suk-yeol entend être plus ferme avec le Nord. SudOuest.
- (06/11/2022). En Corée du Sud, le président Yoon Suk-Yeol adopte une posture va-t-en-guerre face à l’escalade des missiles. Le Journal du Dimanche.
- Lee Sae-rom. (08/03/2024). Séoul élaborera une nouvelle vision pour une unification basée sur la démocratie libérale. YonhapeNews ?
- (consulté le 09/03/2024). Korean National Community Unification Formula. Ministère de l’Unification de Corée du Sud.
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