Samsung est-il le chaebol le plus puissant de Corée ?

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Sasmung est-il le chaebol le plus puissant de Corée.
©La Corée en Lumière

En Corée du Sud, si vous achetez un smartphone, c’est très probablement un Galaxy. Lorsque vous souscrivez à un contrat d’assurance, il y a de fortes chances que vous alliez chez Samsung Life Insurance. Quand vous voyagez en ferry, la coque est sûrement signée Samsung Heavy Industries. Et l’omniprésence de Samsung ne s’arrête pas à la frontière, ni au continent asiatique. En Europe, nous ne faisons pas exception. Rares sont ceux qui parviennent à passer entre les mailles du filet du géant sud-coréen, véritable étendard national, réputé intouchable. Alors, quelles sont les stratégies si bien ficelées qui ont fait de Samsung le chaebol le plus puissant de Corée ? Surtout, quels phénomènes politiques, économiques et sociétaux mettent la puce à l’oreille quant aux pouvoirs exercés par le groupe ? Plusieurs mystères que nous nous apprêtons à soulever.

Chaebol : définition

La traduction de chaebol (재벌 en hangeul), permet d’en comprendre le sens : « chae »  signifie « richesse » , et « bol »  désigne un « groupe » . Et de fait, les chaebols sont des conglomérats familiaux à la tête des plus grosses entreprises de Corée du Sud. Ces dynasties dominent des marchés particuliers, notamment grâce à leur relation privilégiée avec le pouvoir politique qui leur a permis d’obtenir le monopole sur les industries les plus profitables du pays.

La naissance des chaebols en Corée du Sud

En 1950, la Corée du Sud à peine délivrée de l’annexion japonaise est assaillie par une guerre contre son homologue du Nord jusqu’en 1953. Le pays est considéré comme l’un des plus pauvres au monde. Alors, à cette époque, aucun État ne soupçonnait le réveil du tigre coréen. Pourtant, l’industrialisation massive des années 1960 et 1970 a bel et bien permis au pays meurtri de s’extirper de l’oppression des puissances étrangères.  

Une résilience qui aurait toutefois été impossible sans quelques soutiens extérieurs. En effet, à la fin du 20e siècle, le pays n’avait pas son propre marché de capitaux. Or, les entreprises nationales, elles, avaient besoin de fonds pour se développer. Pas assez crédibles auprès des investisseurs étrangers, elles passaient alors par le gouvernement sud-coréen qui empruntait aux puissances étrangères et redistribuait ces prêts aux entreprises. Mais pas à n’importe lesquelles. La Corée du Sud pariait sur les familles aux affaires les plus prometteuses, notamment celle de Lee Byung-chul (이병철), fondateur de Samsung.

La Corée du Sud : un état développementaliste

Park Chung-hee : la dictature derrière le miracle économique sud-coréen

L’industrialisation massive a débuté en 1961, lorsque Park Chung-hee(박정희) s’est emparé du pouvoir. Le coup d’État du dictateur sud-coréen fit sonner le gong du développement économique via des politiques interventionnistes et protectionnistes. Ancien officier de l’armée japonaise dans les années 1930 et 1940, Park Chung-hee était convaincu qu’un contrôle centralisé de l’économie permettrait de faire de la Corée du Sud une puissance.

Timbre à l’effigie de Park Chung-hee  (Source : Philatélie pour tous)
Timbre à l’effigie de Park Chung-hee  (Source : Philatélie pour tous)

Afin d’y parvenir, il mit en place les Economic Planning Boards dès 1962 : des plans de cinq ans consacrés au développement d’industries spécifiques via ces conglomérats bien particuliers, les chaebols.  

Le gouvernement derrière l’ascension de Samsung

L’État l’a rapidement compris : seul, il n’irait ni plus vite, ni plus loin. Il devait soutenir les meilleurs pour grandir et s’imposer sur la scène internationale. La stratégie de relance de l’économie a d’abord été appliquée aux secteurs majeurs du textile, de l’habillement et de l’industrie lourde. En effet, dans les années 1960, l’hégémonie de Samsung ne reposait pas sur les smartphones, mais sur la construction de navires, aux côtés du chaebol Hyundai (현대), mais également de la filature de laine Cheil Wool Textile Company*. 

💡 Le nom de cette entreprise est à retenir, puisqu’elle fait son retour sur l’échiquier lors du scandale Choi Soon-sil ou « Choigate », propulsant l’héritier chaebol sur tous les écrans. 


En 1969, le gouvernement sud-coréen soutient l’électronique, et la filiale Samsung Electronics Company voit le jour. Coïncidence ou coup de maître ? Toujours est-il que l’étroite relation entre le géant de la tech et le gouvernement ne faisait que commencer, tout comme les subventions, réductions d’impôts et prêts à des intérêts dérisoires, voire, négatifs. Sans mentionner le parc industriel dédié aux semi-conducteurs et à la création d’ordinateurs. Le tout assuré par l’interdiction de toute concurrence étrangère sur le sol national.

La république de Corée sous le joug de l’empire Samsung ?

La petite sucrerie née à Daegu n’a pas été sacrée Samsung, roi de la tech en Corée du Sud par hasard. Et pour cause, le monopole qu’elle exerce sur des dizaines d’industries au sein de son pays natal et dans le monde entier, a été encouragé par le gouvernement lui-même. Souvent considérée comme une marque de produits high-tech, la corporation Samsung regroupe en réalité plus de 80 filiales. La plus importante étant Samsung Electronics, que l’on connaît tous. 

Actuellement, le groupe Samsung représente 20 % du PIB national. Alors, comment l’entreprise ne pourrait-elle pas exercer un contrôle aussi important, voire supérieur, à celui du gouvernement, avec une telle concentration de l’économie entre ses mains ? La politique menée par Park Chung-hee il y a 60 ans a donné naissance à Samsung, le chaebol le plus puissant de Corée, gène central de l’ADN du pays. 

Aujourd’hui encore, la dynastie se perpétue, laissant place à des sentiments ambivalents, entre le besoin d’intégrer le groupe Samsung, preuve irréfutable de réussite, et l’exaspération face aux inégalités engendrées dans la société pétrie de corruptions. 

Samsung : le rêve coréen des étudiants

Pour garantir son pouvoir national et son rayonnement aux quatre coins du globe, le plus grand chaebol de Corée s’assure d’engager des employés à la hauteur. Tout comme Park Chung-hee a créé un rang d’entreprises toutes puissantes afin d’assurer la grandeur du pays, Samsung rassemble une armée de travailleurs compétents et adeptes de la culture coréenne du travail tiré à l’extrême. 

200 000 Sud-Coréens poussent les portes du groupe chaque jour, mais bien plus rêvent d’intégrer l’entreprise. Deux sessions de recrutement annuelles permettent aux étudiants issus des meilleures universités du pays, notamment l’Université Nationale de Séoul, de toucher du doigt les trois étoiles, en passant les tests d’aptitudes Samsung. Un mythe de l’excellence made in Korea qui ne s’érode pas, ou peu, au fil des années. Car derrière cette domination, se profilent des affaires moins étincelantes, que la dynastie Lee se serait bien gardée de voir diffusées sur le petit écran qu’elle a elle-même fabriqué. En voici toutefois un extrait, publié dans un documentaire réalisé par Vice Asia :

The Untouchable Chaebols of South Korea. ©Vice Asia

Les chaebols et la corruption

Samsung, c’est bien plus que du soft power. L’entreprise familiale fusionne avec le gouvernement depuis sa création, s’apparentant à un groupe de politiciens déguisés. Quoique, l’emprise de Samsung sur l’économie sud-coréenne passe de moins en moins inaperçue.

Les scandales et la justice

En 2014, le scandale de corruption impliquant Lee Jae-yong, l’héritier Samsung, n’a pas laissé le pays de marbre. En effet, argent et pouvoir riment souvent avec affaires de corruption, et Samsung ne déroge pas à la règle. Cependant en Corée du Sud, les chaebols échappent parfois aux régulations qui mettraient en péril leur royaume, et le gouvernement a tendance à être de mèche, comme en témoigne l’affaire suivante.

Quand il est question d’héritage

Intouchable n’est pas immortel. Les membres du géant Samsung sont eux aussi confrontés à la question de l’héritage. Or, en Corée du Sud, la succession est taxée jusqu’à 50 %. Alors, si la moitié des parts de l’entreprise était revenue aux mains du gouvernement, Lee Jae-yong, petit-fils du fondateur, aurait perdu son statut d’actionnaire majoritaire.

Ce qui a failli arriver en mai 2014 lorsque son père Lee Kun-hee est victime d’une crise cardiaque. Les batailles de pouvoir pour garder le contrôle ont alors fait rage. Afin d’éviter cela, l’orchestration de la fusion de 2015 entre Samsung C&T et Cheil Industries a eu pour but d’aider Lee Jae-yong à consolider son contrôle sur Samsung Electronics, en augmentant sa participation et son pouvoir dans ces entités, et donc au sein du conglomérat. Le tout avec la complicité de l’ex-Présidente sud-coréenne Park Geun-hye (fille du dictateur Park Chung-hee), en échange d’un pot-de-vin, qui lui a valu (sans compter les autres casseroles) d’être destituée et d’écoper de 22 ans de prison, avant d’être graciée en 2021 par Moon Jae-in.

        Ancienne Présidente sud-coréenne Park Geun-hye  (source : Ouest France)

L’héritier de Samsung, une fois parvenu à ses fins, a également été arrêté et emprisonné, avant d’être libéré en 2022. Une peine de cinq ans écourtée par une grâce présidentielle. Des manigances rapidement oubliées, car Lee Jae-yong est aujourd’hui président du groupe, même si d’autres affaires lui pendent au nez. Récemment, une peine de prison ferme a été réclamée par le parquet à l’encontre de Lee Jae-yong.

                 Lee Jae-yong, arrivant au tribunal pour son jugement en 2017  (source : CNBC)

Les chaebols pèsent trop lourds ?

Les chaebols occupent une place plus qu’importante dans l’économie sud-coréenne : Samsung, Hyundai, LG, SK, Hanwha et d’autres comptent pour un peu plus de 50 % de la richesse nationale. Alors, s’attaquer frontalement aux défauts de ces groupes pourrait entraîner une paralysie ou tout du moins un certain dysfonctionnement de l’économie de la Corée du Sud. Le gouvernement et la justice sud-coréens se retrouvent donc souvent dans des impasses.

Quel avenir pour Samsung, le chaebol le plus puissant de Corée ?

L’histoire du géant technologique est ponctuée de scandales, eux-mêmes solutionnés par des compromis discutables. Un sujet d’autant plus sensible, sachant que l’interaction entre politique et affaires est au fondement de la grandeur de Samsung, depuis la dictature de Park Chung-hee. Des abus de pouvoir qui laissent aujourd’hui un gouvernement sud-coréen pris en otage par des entreprises qui détiennent entre leurs mains la stabilité de l’économie du pays. 

Le gouvernement sud-coréen qui a orchestré l’ascension des chaebols dans les années 1970, en quête d’émancipation face aux puissances étrangères, est aujourd’hui confronté au retour de flamme. Le groupe Samsung est plus puissant que la Maison Bleue de Séoul, et il pourrait être fatal de le démanteler. 

Un défi que Moon Jae-in, président de Corée du Sud de 2017 à 2022, a tenté d’entreprendre via des réformes contre les grâces inconditionnelles accordées aux chaebols et les nombreux avantages fiscaux incompréhensibles pour la population. En vain, car l’impunité des élites sud-coréennes continue d’irriter les Sud-Coréens, victimes de l’interdépendance aussi forte que fragile entre Samsung et le gouvernement. Les chefs d’accusation ne sauraient peser plus que la puissance financière qu’apporte Samsung, le chaebol le plus puissant de Corée. Les chaebols sont intouchables à Séoul, et cela ne semble pas être parti pour changer.

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