
Les relations entre la Russie et la Corée du Nord ont évolué de manière significative au fil des décennies. Historiquement alliés durant la guerre de Corée puis la Guerre froide, les deux pays ont connu des périodes de rapprochement et de refroidissement. Depuis 2014, une nouvelle phase de coopération s’est développée, marquée par une intensification des échanges économiques, militaires et diplomatiques.
Les évènements récents, comme la crise en Ukraine et les changements politiques en Corée du Sud, ont accéléré cette collaboration. Cet article explore l’évolution et les étapes clés de cette relation jusqu’à aujourd’hui.
L’entente historique entre la Corée du Nord et la Russie (1950–2010)
L’Union soviétique avait toujours soutenu la Corée du Nord depuis la guerre de Corée (1950–1953). Un traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle avait même été signé en 1961. Le régime de Kim Il-sung était officiellement soutenu par la Russie sur la scène internationale. Les deux pays communistes participaient à de nombreux échanges culturels, qui ont permis de renforcer les liens entre leurs populations.
Refroidissement des relations
Mais dans les années 1980, sous la direction de Mikhaïl Gorbatchev, l’URSS avait amélioré ses relations avec l’Occident. Cela a entraîné des tensions avec la Corée du Nord. Puis, les relations russo-nord-coréennes s’étaient dégradées lorsque l’Union soviétique avait réduit progressivement son aide économique et militaire à la RPDC (République populaire démocratique de Corée, nom officiel du pays). Notamment parce que les Russes rencontraient des difficultés économiques. Puis, la dissolution de l’URSS le 26 décembre 1991 avait presque éteint toute forme de coopération entre les deux pays. Les relations diplomatiques et économiques entre la nouvelle Fédération de Russie et la Corée du Nord étaient alors limitées. Les sanctions internationales et la situation économique en Russie n’aidaient pas à améliorer la coopération.

Regain des relations
En 2000, Kim Jong-il (au pouvoir depuis 1994) rencontre pour la première fois officiellement Vladimir Poutine en Russie. Cette première visite d’un dirigeant nord-coréen depuis la fin de l’URSS marque le renouveau des relations bilatérales. Puis, en 2011, des accords sont signés pour fournir du pétrole et du gaz à la Corée du Nord. Cette mise en œuvre a été entravée par les sanctions internationales à l’encontre de la Corée du Nord. Malgré tout, la coopération persiste, même si elle est timide. En décembre 2011, Kim Jong-il meurt, laissant la place de leader à son fils Kim Jong-un.

2014, l’année qui marque une coopération nouvelle
L’année 2014 est un tournant majeur dans les relations entre la Corée du Nord et la Fédération de Russie. Vladimir Poutine annule 90 % de la dette nord-coréenne, ce qui représente un geste économique et politique significatif. Cette action est perçue comme une volonté de renforcer les liens bilatéraux et d’accroître l’influence de la Russie en Corée du Nord.
Année de l’amitié
Les échanges s’intensifient entre les deux pays. 2015 est nommée « année de l’amitié entre la Russie et la Corée du Nord ». Plusieurs évènements culturels et politiques renforcent les liens. Les sanctions internationales n’empêchent pratiquement pas la Russie de continuer de maintenir des échanges économiques avec la Corée du Nord, principalement dans les domaines de l’énergie et des produits de base.
Au mépris des sanctions
Malgré les sanctions internationales croissantes contre la Corée du Nord, en raison de ses programmes nucléaires et balistiques, Moscou a maintenu des relations étroites avec Pyongyang. La Russie a même plaidé la cause nord-coréenne en critiquant les sanctions sévères imposées par l’ONU contre la RPDC. Elle réclamait aussi un dialogue et une approche diplomatique.
En 2018 et 2019, plusieurs visites de diplomates russes en Corée du Nord, et inversement, ont préparé le terrain pour une rencontre au sommet. La Russie a d’ailleurs apporté son soutien diplomatique à la RPDC dans les forums internationaux, en particulier à l’ONU.
Intensification des relations (2019–2021)
En trois ans, les relations entre la Russie et la Corée du Nord se sont intensifiées de manière significative grâce au sommet de Vladivostok en 2019.
Sommet de Vladivostok (2019)
Le 25 avril 2019, Vladivostok (situé à l’extrême est de la Russie) devient la scène de la première rencontre officielle entre Kim Jong-un et Vladimir Poutine depuis l’arrivée au pouvoir du dirigeant nord-coréen.
Il y est question de :
- projets économiques dans le but de renforcer des échanges commerciaux et réaliser des projets d’infrastructures ;
- coopération sur la fourniture de pétrole et de gaz, ainsi que de modernisation des infrastructures énergétiques nord-coréennes.

Pandémie de covid-19 (2020)
En 2020, la crise sanitaire covid-19 renforce la coopération entre les deux pays. La Russie envoie des fournitures médicales et de l’équipement pour soutenir la Corée du Nord. Un soutien technique nécessaire pour améliorer les capacités de réponse sanitaire de la RPDC face à la pandémie.
Renforcement des liens militaires et technologiques (2021)
En 2021, les relations militaires et technologiques se renforcent entre les deux pays. Des visites de hauts responsables militaires sont organisées et des exercices conjoints sont menés. On peut d’ailleurs souligner la collaboration en cybersécurité et technologies de l’information permettant d’améliorer les capacités industrielles de Pyongyang.
Accélération de la coopération (2022–2023)
Entre 2022 et 2023, la coopération entre la Russie et la Corée du Nord s’accélère.
Impact de la crise en Ukraine (2022)
La guerre en Ukraine débutée en février 2022 influence les relations russo-nord-coréennes. En soutenant la Fédération de Russie dans son invasion de l’Ukraine, la Corée du Nord réaffirme officiellement son alliance avec la Russie tout en se dressant contre l’Occident.
Les deux pays critiquent ouvertement les sanctions internationales qui leur sont infligées et se présentent comme des victimes des politiques américaines et européennes.
Réponse à l’élection de Yoon Suk-yeol (2022)
L’élection de Yoon Suk-yeol en Corée du Sud en 2022 marque un tournant dans les relations intercoréennes et régionales. Le président conservateur sud-coréen adopte une position dure envers la Corée du Nord et renforce les liens avec les États-Unis. En réponse aux discours anti-nord-coréens de Yoon, Moscou et Pyongyang resserrent leurs relations, voyant en leur coopération une nécessité stratégique face à une Corée du Sud plus hostile.
L’année suivante, un sommet trilatéral s’est tenu entre Joe Biden, Fumio Kishida et Yoon Suk-yeol. Une rencontre qui met de l’huile sur la flamme de la discorde entre les deux Corées.
Projets économiques et visites officielles (2023)
2023 est marquée par le sommet Kim-Poutine tenu en septembre au cosmodrome de Vostotchny en Russie. Les relations économiques et diplomatiques entre la Russie et la Corée du Nord s’intensifient. Les échanges commerciaux augmentent, avec des projets conjoints dans l’énergie et les infrastructures. D’autres visites, fréquentes, de hauts responsables et des exercices militaires conjoints témoignent d’une alliance stratégique renforcée.

Le son de cloche pour 2024
Le 31 décembre 2023 se tient la réunion plénière de fin d’année du Comité central du Parti du travail. Kim Jong-un y déclare que « l’unification des deux Corées ne sera plus possible » après avoir précisé que les deux pays sont en état de guerre. Le ton de la relation entre le Nord et le Sud était clairement donné.

Renforcement de la coopération entre Russie et Corée du Nord (2024)
Depuis 2023, c’est presque un dance battle entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. La première se rapproche toujours plus de la Russie. La seconde organise une coopération renforcée avec le Japon et les États-Unis, les deux plus grands ennemis de la RPDC, si on ne compte pas la Corée du Sud. Citons par exemple la date du 17 janvier 2024. D’un côté Poutine reçoit la ministre nord-coréenne des Affaires étrangères Choe Son-hui. De l’autre côté, les principaux émissaires nucléaires de la Corée du Sud et du Japon s’entretiennent à Séoul. Et tout au long de l’année 2024, les rencontres entre responsables et les accueils de dignitaires se sont multipliés dans les deux camps. Voici les rapprochements entre la RPDC et la Fédération de Russie en 2024.
Janvier 2024
La Corée du Sud continue et intensifie la coopération militaire avec le Japon et les États-Unis par le biais d’exercices. La Corée du Nord se rapproche toujours plus de la Russie et procède à des essais balistiques.
- 5 janvier, la Corée du Nord envoie des dizaines de missiles balistiques et des lanceurs de missiles à la Fédération de Russie.
- 8 janvier, le NIS indique que le Hamas, proche de la Russie, utilise des armes nord-coréennes. Et, le 10 janvier, on découvre que la Russie utilise encore des missiles nord-coréens pour son invasion en Ukraine.
- Du 15 au 17 janvier, la ministre nord-coréenne des Affaires étrangères Choe Son-hui se rend en Russie sur invitation de Sergueï Lavrov. Vladimir Poutine la reçoit au Kremlin le 16 janvier. Le but du sommet concerne essentiellement la coopération militaire.

Février 2024
Le mois de mars est particulièrement riche en échanges et coopération entre la Russie et la RPDC.
- 4 février, Andreï Rudenko, vice-ministre des Affaires étrangères est à Séoul pour aborder, entre autres, la question de la sécurité régionale.
- 7 février, l’ambassadeur de Russie en Corée du Sud Georgy Zinoviev indique que la Russie souhaite éviter que la relation intercoréenne ne touche le fond.
- 13 février, une délégation nord-coréenne du Parti du travail est en visite à Moscou sur invitation du parti Russie unie. Elle participe ensuite une réunion sur le thème de la liberté des ethnies qui a pour but de lutter contre le « nouveau colonialisme contemporain ».
- 20 février, Kim Jong-un reçoit en cadeau une luxueuse voiture blindée fabriquée en Russie. Le KCNA (Agence centrale de presse nord-coréenne) indique qu’il s’agit d’« une preuve claire des relations personnelles spéciales entre les deux leaders ».
- 27 février, le ministre de la Défense sud-coréen Shin Won-sik indique que « des usines de munitions du Nord fonctionnent à plein régime pour la Russie ».

Mars 2024
Le mois de mars 2024 connaît une nette hausse de l’animosité entre les deux Corées. Pyongyang fait supprimer toute mention d’unification coréenne sur ses sites internet alors que Séoul désire une réunification coréenne fondée sur la liberté. Tout espoir d’unification coréenne semble désormais terni.
- 18 mars, Kim Jong-un félicite Vladimir Poutine pour sa réélection via un message transmis au ministère russe des Affaires étrangères par l’ambassadeur nord-coréen en Russie.
- Du 19 au 21 mars se tient le Moscou International Travel & Tourism en Russie. La Corée du Nord est invitée à y participer et y tient un stand.
- 21 mars, une compagnie de ballet russe joue « La Belle au bois dormant » à la capitale de la RPDC.
- 26 mars, de hauts officiels nord-coréens se rendent à l’ambassade russe à Pyongyang pour présenter leurs condoléances suite à l’attentat meurtrier du 22 mars à Moscou.
- 28 mars, le chef du Service des renseignements extérieurs de Russie se rend à Pyongyang pour discuter des possibilités de renforcement de la coopération concernant les activités d’espionnage et complots des forces hostiles.

Avril 2024
Cela fait un an que les contacts réguliers entre les deux Corées sont interrompus. Pendant ce temps, Kim Jong-un renforce le dialogue avec son homologue russe. Aussi, depuis plusieurs semaines, la Corée du Nord réactive ou intensifie ses relations avec d’autres pays, comme la Chine, le Vietnam, le Laos et la Mongolie.
- 8 avril, Kim Jong-un envoie un message pour réconforter le président russe Vladimir Poutine à la suite des fortes inondations que la Russie a connues.
- 16 avril, le vice-ministre biélorusse des Affaires étrangères Evgeny Shestakov arrive à Pyongyang dans le cadre de la coopération approfondie entre la RPDC et la Russie.
- 21 avril, Ri Chol-man, vice-premier ministre nord-coréen se rend à Moscou pour rencontre le ministre russe de l’Agriculture, Dmitry Patrushev et d’autres hauts responsables des secteurs de l’agriculture et de la pêche.
- 25 avril, la Corée du Nord et la Russie fêtent les 5 ans du premier sommet Kim-Poutine. Pyongyang en profite pour réitérer son engagement à renforcer ses liens avec Moscou.

Mai 2024
Depuis quelques mois, la RPDC renforce sa sécurité autour et dans la DMZ. On peut citer le minage des routes menant au Sud. Le pays fait table rase de l’entente relative passée et se tourne toujours plus vers la Russie.
- 10 mai, Pyongyang fait détruire la caserne de pompiers sud-coréenne construite au mont Kumgang, site touristique de 1998 à 2008.
- 12 mai, la RPDC écoule des armes vieillissantes vers la Russie et développe de nouvelles armes.
- 13 mai, une délégation municipale de Rason, ville nord-coréenne proche des frontières avec la Chine et la Russie, se rend en Extrême-Orient russe. L’objectif est de réactiver les trains de voyageurs entre la Corée du Nord et la Russie.
Quel avenir pour la coopération entre la Russie et la Corée du Nord ?
Pour essayer de prévoir le devenir de la coopération russo-nord-coréenne, il est nécessaire de regarder le passé, mais aussi d’observer la situation géopolitique de la région. Même si cette observation reste parcellaire, on constate que l’hostilité croissante entre les deux Corées pousse la Corée du Nord à se rapprocher de la Russie.
Une politique anti-nord-coréenne
La mésentente intercoréenne est fortement alimentée par la politique très hostile adoptée par le président Yoon Suk-yeol contre la Corée du Nord. Sa politique a enterré les quelques progrès difficilement acquis par l’ancien président Moon Jae-in et ses prédécesseurs. De plus, Yoon s’est considérablement rapproché de ses homologues Biden et Kishida et, ensemble, ils multiplient les exercices militaires, tous réalisés en prévision d’une offensive ou d’une contre-offensive. Sans oublier que le Japon augmente considérablement ses dépenses militaires. Par conséquent, la coalition Corée du Sud-États-Unis-Japon est devenue une menace plus que sérieuse aux yeux de Kim Jong-un et son gouvernement.

Kim Jong-un veut s’assurer une défense
Pour s’assurer une certaine défense, le recours le plus naturel pour Kim Jong-un est de se rapprocher toujours plus de la Russie, un partenaire historique du régime communiste de la RPDC. N’oublions pas qu’en 1945 déjà l’Union soviétique protégeait la partie nord de la péninsule.
Dans les prochaines années, la coopération entre la Russie et la Corée du Nord devrait se renforcer en grande partie du fait de la situation entre les deux Corées. Et celle-ci ne risque pas de changer au moins jusqu’à la fin du mandat présidentiel de Yoon Suk-yeol en 2027. À moins qu’il soit destitué, comme Park Geun-hye, mais les probabilités sont plutôt faibles, même s’il n’a plus la majorité parlementaire.
Source : Yonhap News
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