Enseignants harcelés et vague de suicides en Corée

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Enseignants harcelés et vague de suicides en Corée
©Yonhap News.

C’est assez connu, le cadre scolaire et étudiant des jeunes sud-coréens n’est pas toujours le meilleur du monde avec, en tête des difficultés, une compétition très forte et parfois très difficile à supporter. Ce qui est peut-être moins connu, c’est le rapport parfois désuet entre enseignants et élèves où l’enseignant est le maître à respecter quoi qu’il advienne. Dans le but de faire évoluer positivement cet aspect de l’enseignement, les écoliers et les étudiants ont obtenu, à partir de 2010, une meilleure protection de leurs droits grâce à l’ordonnance sur les droits de l’Homme des étudiants (학생인권조례).

Cependant, suite à une vague de suicides chez les enseignants, cette ordonnance est aujourd’hui montrée du doigt. Le conseil de la province de Chungcheong du Sud a voté, ce 15 décembre, pour l’abolition de cette ordonnance. Nous faisons le point depuis le suicide d’une jeune enseignante de 23 ans en juillet dernier.

Suicide d’une enseignante de 23 ans à Séoul

Le mardi 18 juillet 2023, le corps inerte d’une enseignante de 23 ans est retrouvée dans sa salle de classe de 1ère année à l’école élémentaire Seoi à Séoul. La jeune femme avait été engagée 5 mois auparavant. Elle n’avait laissé aucun message.

Fleurs déposées devant l'école élémentaire Seoi de Séoul le 20 juillet 2023 (Yonhap).
Fleurs déposées devant l’école élémentaire Seoi de Séoul le 20 juillet 2023 (Yonhap).

Quelles sont les vraies causes de cet acte fatal ?

Des premières hypothèses affirmaient la souffrance qu’éprouvait la jeune femme à cause de plaintes de parents d’élèves contre la violence à l’école. L’enseignante avait vraisemblablement subit un stress très important, mais l’école se mit à démentir l’existence de violence en son sein. De son côté le 21 juillet, la police indiquait que la jeune enseignante avait mis fin à ses jours pour des raisons personnelles. Ce que démentait Lee Ju-ho, ministre de l’Éducation, en déclarant que « selon certaines spéculations, la mort de l’enseignante pourrait avoir été causée par une grave violation des droits des enseignants. Si c’est le cas, il s’agit d’un défi important pour notre système éducatif ».

Dans la même école, la même classe, une autre enseignante avait été agressée par un élève. Ce qui pourrait confirmer les hypothèses du milieu éducatif et du ministre de l’Éducation qui soupçonnaient une forte pression due à des demandes excessives de la part de parents d’élèves. Un effet boule de neige va se créer à la suite de cet évènement tragique.

Ce n’est pas le premier suicide d’un enseignant, loin de là

Selon le député PPP Lee Tae-kyu le 18 octobre dernier, 144 enseignants des cycles primaire et secondaire se sont suicidés au cours des 10 dernières années. Et, durant les huit premiers mois de 2023, 14 suicides ont déjà été enregistrés. Sur les 144 personnes décédées, 31 exerçaient dans le Gyeonggi (경기도), 22 à Séoul (서울), 13 à Busan (부산) et 12 dans le Chungcheong du Sud (충청남도).

Les instituteurs du niveau élémentaires représentent 54,2 % des suicides enregistrés, soit 78 cas. Les enseignants du collège représentent 27 cas et 39 décès chez ceux du lycée. Cette série de suicides défraie la chronique au point que personne ne peut plus rester les bras croisés.

Une enquête sur le suicide apparent de l’enseignante de 23 ans

De manière conjointe, le ministère de l’Éducation et l’académie de Séoul annonçaient le 21 juillet 2023 vouloir ouvrir une enquête sur le suicide apparent de l’enseignante de 23 ans. Lee Ju-ho déclarait alors au siège de la Fédération coréenne des associations d’enseignants (KFTA) : « Je pense qu’une enquête est nécessaire alors qu’il s’agit d’un incident malheureux montrant manifestement la crise des autorités éducatives déplorée par de nombreux enseignants ».

Lee Ju-ho, ministre de l'Éducation, durant la rencontre avec des enseignants à la KFTA, 21 juillet 2023 (Yonhap).
Lee Ju-ho, ministre de l’Éducation, durant la rencontre avec des enseignants à la KFTA, 21 juillet 2023 (Yonhap).

Aussi, le ministre de l’Éducation promet de réviser le règlement lié aux droits trop larges des élèves qui intimident les activités légitimes des enseignants. Pour cela, il argumente que « plus de 3 000 cas d’atteinte aux activités des enseignants ont été délibérés et traités à l’école l’année dernière et les types d’atteinte ont été diversifiés ».

La protection des enseignants : cause nationale

Les discours et les promesses politiques s’enchaînent. Tout le corps enseignant descend dans les rues pour manifester son ras-le-bol et ses craintes quant à la protection physique et mentale des enseignants.

L’exécutif sud-coréen réagit

Le lundi 24 juillet, le président Yoon Suk-yeol demandait au gouvernement d’élaborer des directives pour protéger les droits des enseignants et renforcer leur autorité dans les salles de classe. Il ordonnait aussi la révision des ordonnances sur les droits de l’Homme des étudiants* qui ont été mises en place par 7 bureaux régionaux de l’éducation.

💡 La première ordonnance sur les droits de l’Homme des étudiants fut promulguée le 5 octobre 2010 à la province de Gyeonggi. D’autres ordonnances similaires ont été promulguées par la suite dans 6 autres régions : Gwangju (2011), Séoul (2012), province de Jeolla du Nord (2013), Incheon, la province de Chungcheong du Sud (2020) et la province de Jeju (2020) (source Dictionnaire d’actualité, 2023). Entre autres, ces ordonnances mettent fin aux châtiments corporels et à la discrimination à l’encontre des homosexuels et des jeunes filles enceintes. Elles autorisent les rassemblements dans l’école et donnent la liberté aux élèves de choisir leur coupe de cheveux et leur tenue vestimentaire.

Les responsables de l’éducation des villes métropolitaines réagissent

De leur côté, le directeur du bureau de l’éducation de la ville métropolitaine de Séoul (recteur de l’académie de Séoul), Cho Hee-yeon, et son bureau ont commencé à étudier la possibilité d’inclure une clause sur les devoirs des élèves en plus de leurs droits. Ils souhaitaient aussi inclure des mesures plus strictes contre les demandes et les plaintes malveillantes des parents.

Cho Hee-yeon, recteur de l'académie de Séoul à une conférence le 23 août 2023 (académie de Séoul).
Cho Hee-yeon, recteur de l’académie de Séoul à une conférence le 23 août 2023 (académie de Séoul).

Leur homonyme de la ville de Busan avait également dévoilé une série de mesures qui visent :

  • l’amélioration des droits des enseignants ;
  • la mise en place d’équipes pour répondre directement aux plaintes ;
  • et la possibilité de dépôt de plainte contre les parents auprès des autorités en cas d’actes répréhensibles.

Les régions s’élèvent également pour mieux protéger les enseignants

Les bureaux régionaux de l’éducation comptent également prendre des mesures plus strictes contre les plaintes et demandes malveillantes émanant des parents d’élèves. Le conseil provincial de Chungcheong du Sud avait déjà commencé, fin juillet, à recueillir la signature de 20 000 résidents dans le but de carrément abolir l’ordonnance début 2024.

Opposition du Parti Démocrate à l'abolition de l'ordonnance de protection des élèves (Yonhap).
Opposition du Parti Démocrate à l’abolition de l’ordonnance de protection des élèves (Yonhap).

Ce vendredi 15 décembre, ce même conseil a voté (31 voix pour et 13 contre) un texte de loi abolissant l’ordonnance sur les droits de l’Homme des étudiants. La remise en cause principale réside sur une focalisation des droits des élèves tout en oubliant leurs responsabilités. Le recteur de la région a maintenant 20 jours pour promulguer ou demander la révision du texte d’abolition.

Rassemblements nationaux d’enseignants

Vers la fin août, deux autres enseignants s’étaient suicidés à Goyang dans la province de Gyeonggi et à Gunsan dans la province de Jeolla du Nord. Ce qui ne pouvait qu’aggraver les ressentiments de fragilité et d’impuissance des enseignants face à des parents et des élèves harceleurs. C’est pourquoi, le samedi 2 septembre 2023, environ 200 000 enseignants de tout le pays habillés en noir (chiffre avancé par les organisateurs) s’étaient rassemblés devant l’Assemblée nationale pour rendre hommage à leurs collègues ayant mis fin à leurs jours.

Manifestation d'enseignants à Yeouido à Séoul, le 2 septembre 2023 (Yonhap).
Manifestation d’enseignants à Yeouido à Séoul, le 2 septembre 2023 (Yonhap).

Leur présence était certes un hommage, mais aussi un geste fort pour demander la protection de leurs droits. Ils souhaitaient d’ailleurs vraiment marquer les esprits. Aussi, le lundi 4 septembre, environ 15 000 enseignants se sont réunis à nouveau devant l’Assemblée nationale à Séoul. Cette date a été choisie comme symbole, car le 4 septembre tombe 49 jours* après le décès de l’enseignante de 23 ans.

💡 Selon la croyance bouddhique, la réincarnation de l’âme intervient au 49e jours après le décès. En Corée, ce jour est donc très important. Un rituel est traditionnellement observé pour permettre aux proches de faire leurs derniers adieux.

Les promesses du gouvernement sud-coréens

Fin juillet, le gouvernement coréen et le parti au pouvoir (Parti du pouvoir du peuple, PPP) s’étaient concertés pour permettre une série de modifications législatives afin de protéger les droits des enseignants. Le 23 août, Lee Ju-ho avait présenté un projet d’introduction d’un système de traitement des plaintes via des commissions. Elles deviendraient alors les seuls interlocuteurs des parents, protégeant ainsi mieux les enseignants qui, jusqu’alors, étaient sur le front contre des parents parfois très virulents.

« C’est une question de temps avant que la chance nous quitte, ou que nous rencontrions le mauvais parent, et je pense que c’est ce qui incite de plus en plus d’enseignants du pays à se joindre au rassemblement » (Kim, enseignante depuis 12 ans auprès d’élèves handicapés à Séoul).

Yonhap

Les avancées dans la protection des enseignants coréens

Des mesures réalistes pour protéger les enseignants ?

Le 19 septembre 2023, Cho Hee-yeon déclaraient vouloir installer dans toutes les écoles élémentaires de Séoul des enregistreurs de conversations téléphoniques ainsi qu’un chatbot et un centre d’appels. Le premier permettra d’enregistrer les appels des parents pour constituer des preuves en cas d’actes illicites. Le deuxième et le troisième permettront de créer un barrage entre les parents et les enseignants tout en répondant aux questions, requêtes et plaintes des parents.

Un service pilote de chatbot sera effectif d’ici la fin du mois et les enregistreurs devraient être installés d’ici la fin de l’année 2024.

4 projets de révision adoptés par le Parlement sud-coréen

Assemblée nationale de Corée du Sud, adoption de 4 projets de révision pour l'amélioration des droits des enseignants (Yonhap).
Assemblée nationale de Corée du Sud, adoption de 4 projets de révision pour l’amélioration des droits des enseignants (Yonhap).

Le jeudi 21 septembre, l’Assemblée nationale avait adopté une série de projets de révision dans le but d’améliorer l’autorité des enseignants en classe. Ces « lois sur la restauration des droits des enseignants » ont été adoptés unanimement. Cependant, un article a été écarté durant le processus de délibération ; il permettait aux enseignants de tenir une liste des élèves enfreignant leurs droits.

Il en va de la protection des enseignants

La Corée du Sud avec les autorités compétentes fournissent visiblement de grands efforts pour faire avancer le sujet du harcèlement des parents contre des enseignants en détresse. L’ordonnance des droits de l’Homme des étudiants était un grand pas vers un système plus juste et protecteur pour les élèves sud-coréens. Mais, il faut croire que la protection des droits des enseignants et la protection de leur intégrité ont été bafouées bien plus encore à la suite de cette ordonnance. Les parents se sentiraient-ils trop libres d’agir comme bon leur semble au nom du bien-être de leurs enfants ? Si dérive il y a, il était bien difficile de la prévoir.

Source : YonHap News.

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