Crise médicale en Corée du Sud : les médecins démissionnent pour protester contre la réforme de Yoon Suk-yeol

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Crise médicale Corée du Sud, pourquoi la grève des médecins ?
©Segye Ilbo

La grève massive des médecins en Corée du Sud marque le pays depuis plusieurs semaines. Elle révèle les tensions profondes entre le gouvernement et la communauté médicale. En 2020 déjà, les médecins résidents avaient fait grève pour lutter contre une réforme concernant le quota d’étudiants en médecine. Aujourd’hui, en 2024, ils font front contre une nouvelle tentative de réforme, à peu près similaire, menée par Yoon Suk-yeol. Nous faisons le point pour mieux comprendre la crise médicale en Corée.

Contexte de la crise médicale

Explorons les origines et motivations de la crise médicale actuelle de la Corée du Sud.

Origines de la réforme

La Corée du Sud est confrontée à une pénurie de personnel médical et à une population vieillissante. Les jeunes médecins ont tendance à quitter les petites villes et à éviter les zones rurales pour préférer les grandes métropoles. Ce déséquilibre médical par région génère une dégradation des services médicaux dans certaines zones. La mesure que propose le gouvernement de Yoon Suk-yeol vise à pallier le manque de médecins et à renforcer le système de santé pour les années à venir.

Entrée d'une faculté de médecine à Séoul (©ChosunBiz).
Entrée d’une faculté de médecine à Séoul (©ChosunBiz).

La réforme consiste en effet à ouvrir 2 000 places supplémentaires dans les écoles de médecine (+65 % pour 2025). Cette proposition est un peu plus expéditive que celle initiée par Moon Jae-in en 2020 (+13 % la première année).

Opposition des médecins

À partir de l’an 2000, le quota de nouveaux étudiants en médecine a diminué en Corée du Sud. Une réduction voulue pour apaiser les inquiétudes des docteurs qui protestaient contre la politique de séparation des prescriptions et des ventes de médicaments. Aujourd’hui, les médecins et les étudiants en médecine avancent qu’augmenter ce quota entraînerait une baisse de la qualité des soins. Mais, vous verrez plus bas dans cet article que cette révision des quotas dans les écoles de médecine n’est pas le seul point critiqué par les médecins et les étudiants en médecine.

Résultat, plus de 90 % d’entre les 13 000 médecins résidents ont entamé une grève. En fait de grève, il s’agit plutôt de démissions. En effet, la grève est normalement interdite pour le corps médical en Corée.

Négociations et tensions

Le gouvernement a proposé d’ouvrir des négociations, tout en menaçant de révocations de licences et d’arrestations les médecins refusant de reprendre le travail. Cette approche a exacerbé les tensions. Les médecins grévistes perçoivent dans ces menaces une intimidation et une atteinte à leurs droits professionnels.

Les enjeux de la réforme selon le gouvernement

Quelles sont les motivations qui sous-tendent la réforme controversée du système médical sud-coréen ? Quels sont les défis démographiques et de santé publique ?

Répondre aux défis démographiques

La Corée du Sud fait face à la fois à un vieillissement rapide de sa population et à une pénurie de personnel médical dans certaines régions et spécialités. D’un côté le faible taux de natalité en Corée du Sud est devenu une problématique majeure avec un taux de fécondité très faible de 0,78 en 2022.

D’un autre côté, dès l’an 2000 le pays a connu une diminution du quota de nouveaux étudiants en médecine. Ce quota a été stabilisé, en 2006, à 3 058 nouveaux étudiants chaque année. Résultat, en 2020, le nombre de diplômés des facultés de médecine coréennes était de 7,2 pour 100 000 habitants. Comparativement, l’Allemagne compte 12 diplômés pour 100 000 habitants. Ces chiffres donnent à la Corée du Sud la 37place sur les 39 pays de l’OCDE. Selon les données sur le « Nombre de diplômés des facultés de médecine pour 100 000 habitants dans les pays membres de l’OCDE » présentées par Jeong Chun-sook du Parti démocrate de Corée.

Nombre de diplômés des facultés de médecine par 100 000 habitants dans les 39 pays de l'OCDE (©Newspim, traduction ©La Corée en Lumière).
Nombre de diplômés des facultés de médecine par 100 000 habitants dans les 39 pays de l’OCDE (©Newspim, traduction ©La Corée en Lumière).

Ce sont des faits que le gouvernement met largement en avant pour défendre sa réforme. En oubliant d’autres tout aussi importants.

Objectifs de la réforme

Le plan de réforme de Yoon Suk-yeol vise à augmenter les admissions dans les écoles de médecine de 65 % dès la première année. Cela permettra d’accroître le nombre de médecins disponibles à l’avenir. Mais la proposition du président actuel se démarque de celle de son prédécesseur. Yoon a mis de côté l’obligation de pratiquer dans les zones en manque de médecins durant 10 ans.

La mesure actuelle est perçue par le gouvernement comme cruciale pour améliorer le ratio médecins-patients et pour préparer le système de santé à répondre efficacement aux besoins futurs. Aussi, le gouvernement pointe du doigt la qualité actuelle des services médicaux. Le KIHASA (Institut coréen pour la santé et les affaires sociales) a mené une étude qui démontre que les Sud-Coréens passent en moyenne 4,3 minutes avec leur médecin lors du premier rendez-vous, alors que la moyenne est de 16,4 minutes pour l’ensemble des membres de l’OCDE.

Réactions et conséquences de la grève

Malgré les intentions annoncées, la proposition a suscité une forte opposition de la part de la communauté médicale. Les médecins résidents actuels et les étudiants craignent que l’influx de nouveaux professionnels ne mène à une saturation du marché. Cela affecterait, selon eux, la qualité de l’enseignement et des soins, ainsi que les perspectives de carrière dans le secteur médical. On découvrira plus bas que d’autres critères sont à prendre en compte.

Quel impact a cette crise médicale sur le système de santé et quelles sont les mesures gouvernementales ?

Impact sur le système de santé

La grève a eu un impact significatif sur le système de santé. Elle a entraîné une perturbation des services médicaux dans plusieurs hôpitaux. Les patients ont été confrontés à des retards dans leurs soins et traitements. Seuls les actes médicaux de première priorité ont été maintenus. Cette grève massive des médecins résidents a mis en lumière la tension entre la nécessité de réformer une partie du système de santé et les conséquences immédiates de telles actions sur le bien-être des patients.

Lits vides dans un hôpital (Pixabay).
Lits vides dans un hôpital (Pixabay).

L’ampleur de la grève et sa durée ont exacerbé ces problèmes, accentuant ainsi la pression sur le système hospitalier déjà en difficulté.

Mesures gouvernementales

En réponse à la grève des médecins, le gouvernement a pris des mesures fermes. Il a notamment menacé de suspendre les licences des médecins grévistes, surtout les jeunes internes et résidents. Aussi, la police a commencé à interroger des personnalités, comme récemment avec deux hauts responsables de la KMA (Association médicale coréenne) soupçonnés d’avoir incité les médecins à mener une action collective.

Parallèlement, des négociations ont été ouvertes pour tenter de trouver un terrain d’entente et de mettre fin à la crise. Cela souligne la volonté du gouvernement de résoudre le conflit tout en maintenant sa position sur la réforme. En effet, Cho Kyoo-hong, ministre de la Santé et des Affaires sociales, a annoncé dimanche 10 mars que le gouvernement accélérerait sa réforme. Mais la crise médicale de Corée est encore plus complexe et plus profonde qu’elle n’y paraît.

Park Myung-ha (à gauche), chef des affaires organisationnelles du KMA et Kim Taek-woo (à droite), chef du comité d'urgence du KMA (©Yonhap).
Park Myung-ha (à gauche), chef des affaires organisationnelles du KMA et Kim Taek-woo (à droite), chef du comité d’urgence du KMA, le 12/03/2024 (©Yonhap).

Les autres constats à prendre en considération

L’Institut coréen de développement (KDI), l’Institut coréen pour la santé et les affaires sociales (KIHASA) et l’Université nationale de Séoul ont participé à des recherches qui estimeraient qu’il y aurait une pénurie de 10 000 médecins d’ici à 2035 si aucune réforme n’était entreprise.

Mais, seulement prendre en considération le manque de médecins de manière globale est un piège à éviter. D’autres points doivent être pris en considération pour améliorer la situation du système de santé sud-coréen.

Préserver la qualité des enseignements en médecine

Augmenter de 65 % les effectifs des jeunes étudiants en médecine dès l’année prochaine paraît dangereux selon les étudiants en médecine et leurs enseignants. Le risque de dégradation de la qualité des enseignements est réel selon eux. Les structures ne sont pas préparées à une telle charge supplémentaire.

Cet argument est judicieux, mais il ne faut pas oublier que la réforme de Moon Jae-in n’avait pas été favorablement accueillie non plus alors qu’elle préconisait une augmentation en souplesse sur 10 ans.

Résoudre le « déséquilibre médical »

Autre problème de taille, le gouvernement et les médecins semblent d’accord sur l’existence du « déséquilibre médical » par région et par spécialité. Certes, au regard du reste des pays de l’OCDE, il manque cruellement de médecins en Corée du Sud, mais le cœur du problème se situe aussi à deux autres niveaux :

  • Les médecins se concentrent dans les zones métropolitaines, notamment Séoul et Busan. Ces choix créent des déserts médicaux dans le reste du pays.
  • Ils privilégient largement certaines spécialités plus rentables telles que la dermatologie, la chirurgie plastique et l’ophtalmologie. Cela au détriment de la médecine interne, la chirurgie, la pédiatrie, l’obstétrique et la gynécologie.

Ces 10 dernières années, le nombre de dermatologues a augmenté d’environ 40 % et le nombre de médecins en chirurgie plastique a presque doublé.

La vieillesse de la population

Qui dit taux de fécondité très faible, dit vieillissement global de la population et même diminution de la population. Pour ces deux points, d’un côté le gouvernement estime que l’augmentation importante de l’âge moyen de la population entraînera une demande plus importante en services de santé. D’un autre côté, les médecins s’attendent à une réduction suffisamment importante de la population dans les années à venir, donc un besoin en soins en diminution par effet mécanique.

En vert, le nombre de bébés nés en Corée du Sud et en jaune le taux de fécondité de 1970 à 2022 (Statistics Korea).
En vert, le nombre de bébés nés en Corée du Sud et en jaune le taux de fécondité de 1970 à 2022 (Statistics Korea).

Ajouté à cela, on peut aussi prévoir que les nouvelles générations continueront à migrer vers la zone métropolitaine, vidant ainsi les provinces et les zones rurales. Mais ne serait-ce pas aussi le chat qui se mord la queue ? La désertification médicale dans ces zones incite davantage les jeunes à partir.

Le prix d’une consultation

Il y a certaines raisons qui expliquent que les étudiants en médecine préfèrent certaines spécialités au détriment des autres. L’une d’elles est que le prix des consultations est estimé trop bas. À titre d’exemple, le coût moyen d’un traitement dentaire en Corée est de 13 000 wons (environ 9 euros), soit 10 fois moins qu’au Japon ou qu’aux États-Unis. Même en France, le coût de base est de 25 euros.

Pour cela, le gouvernement a proposé un plan qui vise l’augmentation des tarifs médicaux. Cependant, le plan se concentre essentiellement sur les cas d’hospitalisation. Or, la proportion de patients recevant uniquement un traitement simple plutôt qu’une hospitalisation est élevée, comme c’est le cas pour les services de pédiatrie par exemple.

Hôpital Icheon à Gyeonggi, le 25/02/2024 (©Segye Ilbo).
Hôpital Icheon à Gyeonggi, le 25/02/2024 (©Segye Ilbo).

La grève des médecins est-elle acceptable ?

En suivant de trop loin l’affaire de la crise médicale coréenne, il est très tentant de penser que les médecins abusent de leur situation pour refuser une réforme par crainte d’une concurrence plus importante. Alors que cette réforme répond clairement à un besoin présent et futur de plus de médecins. C’est pourquoi des sondages avancent que 75 % de la population de Corée du Sud sont favorables à l’augmentation des admissions dans les facultés de médecine de Corée. Signifiant que l’opinion publique est plutôt contre l’action collective des médecins.

Mais à y regarder de plus près, cette grève massive est peut-être compréhensible. La réforme proposée par le gouvernement de Yoon Suk-yeol est incomplète. Les autres problèmes ne sont pas suffisamment pris en considération : déséquilibre médical par région et par spécialité, désertification des petites villes et zones rurales, possible baisse de la qualité des cours dans les facultés de médecine, prix des consultations trop bas.

Est-ce que ces problèmes ne sont pas aussi la cause de la grève massive des médecins coréens ?


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