La Corée tremblerait-elle face aux chinois AliExpress et Temu ?

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AliExpress et Temu font trembler la Corée du Sud ?
©La Corée en Lumière

AliExpress et Temu sont des plateformes de commerce en ligne proposant une immense variété de produits, la plupart fabriqués en Chine. Les prix très bas, la livraison gratuite (basée sur le service postal de l’Union postale universelle des Nations Unies) et la contrefaçon sont les éléments clés que partagent ces entreprises. Aussi, elles se distinguent de Coupang ou Gmarket (des équivalents sud-coréens d’Amazon) par le fait de connecter plus directement clients finaux et fabricants via le système DTC (direct-to-consumer).

Le bonheur des consommateurs entraîne la peur de la Corée du Sud de voir disparaître une grande partie de ses entreprises locales. Même le géant Coupang regarde avec crainte ses concurrents chinois arriver dans son rétroviseur, car ils arrivent vite, très vite.

Point sur AliExpress et Temu

Dès le mois de janvier, Jeong Jeong-suk du site KTNews.com annonçait qu’Ali et Temu menacent le leader Coupang. Faisons un point sur ces les deux sociétés chinoises et leur évolution dans le Classement de l’utilisation des applications du secteur shopping (쇼핑업종 앱 사용량 순위) proposé par Korea Forbes.

AliExpress

AliExpress (nommé ici Ali) est une entreprise du groupe Alibaba créée en 2010 et basée en Chine. L’entreprise est arrivée sur le marché coréen en 2018. En mars 2023, Ali annonce un plan d’investissement de 100 milliards de wons pour conquérir le marché sud-coréen. Cette somme a été utilisée, entre autres, pour :

  • s’offrir l’image de l’acteur Ma Dong-seok, très populaire auprès du public coréen ;
  • construire deux énormes entrepôts de 100 000 m² à Weihai et à Yantai afin de garantir une livraison dans les 5 jours.
Image promotionnelle d'AliExpress avec l'acteur Ma Dong-seok.
Image promotionnelle d’AliExpress avec l’acteur Ma Dong-seok.

Ali s’est d’abord fait connaître par son site e‑commerce avant de se concentrer davantage sur ses services via une application.

En janvier 2023, Ali se classait 13entreprise e‑commerce du marché sud-coréen avec 2,5 millions d’utilisateurs. En janvier 2024, l’entreprise s’est hissée directement à la 3place grâce à ses 5,6 millions d’utilisateurs, soit une hausse spectaculaire de plus de 221 %. Le géant Ali a donc dépassé Gmarket qui était jusqu’alors solidement amarré à sa 3place.

Classement de l’utilisation des applications du secteur shopping (©Korea Forbes, traduction ©La Corée en Lumière).
Classement de l’utilisation des applications du secteur shopping (©Korea Forbes, traduction ©La Corée en Lumière).

Temu

Temu est une entreprise de vente en ligne créée par Pinduoduo en 2022. Basée également en Chine, Temu est entrée dans le marché coréen seulement en juillet 2023. Pourtant, en janvier 2024, la nouvelle entreprise de vente en ligne se plaçait déjà à la 5place du même classement avec 4,6 millions d’utilisateurs. Le rookie de la vente en ligne a ainsi dépassé des géants comme GS Shop et TMON, pour ne citer que ceux qui talonnaient de près Gmarket, dès sa première année en Corée.

L’application de shopping Temu est entrée sur le marché coréen avec un marketing très agressif, notamment avec des produits cadeaux, des remises et la livraison gratuite. La courbe de sa progression laisse même à penser que Temu pourrait rapidement dépasser AliExpress, peut-être dès cette année 2024.

Évolution du nombre d'utilisateurs mensuel pour AliExpress et Temu (©Korea Forbes, ©La Corée en Lumière).
Évolution du nombre d’utilisateurs mensuel pour AliExpress et Temu (©Korea Forbes, ©La Corée en Lumière).

Ali et Temu engloutiront des PME ?

L’arrivée de Temu en Corée a asséné un « high kick », comme titrait Hankook Ilbo le 15 février dernier, à la majorité des entreprises du e‑commerce. Même des poids lourds comme GS SHOP, TMON, WeMakePrice (위메프), Lotte On, etc. ont posé le genou au sol. De son côté, la solide entreprise Eleven Street (11번가) garde sa deuxième place, mais accuse néanmoins une baisse de 16,54 % d’utilisateurs en un an. Et, vu la fulgurante montée en puissance de Temu, Eleven Street pourrait perdre sa place avant la fin de l’année.

Qu’est-ce qui rend Ali et Temu si attractifs et si forts ?

Chine-Corée du Sud : géographiquement proche

Le gouvernement sud-coréen exprime certaines craintes pour les ténors nationaux du e‑commerce, et redoute littéralement la concurrence chinoise quand il s’agit des petites et moyennes entreprises. En France, nous avons l’exemple de nombreuses enseignes du prêt-à-porter mettant la clé sous la porte, à cause notamment d’acteurs comme Shein, un autre géant chinois en herbe du e‑commerce. La Corée du Sud risque de connaître le même sort, à commencer par les biens de consommation courante.

Originellement, les délais de livraison étaient longs : environ 3 semaines. Mais la proximité géographique entre la Corée et la Chine, par rapport à l’Europe, et la création de centres logistiques dédiés permettent à Ali de réduire la livraison à 5 jours. Ce qui devient plus acceptable pour une majorité de consommateurs coréens. Et nous verrons plus bas, que d’autres investissements permettraient au géant chinois du e‑commerce de réduire davantage le délai de livraison.

Des prix imbattables

Il est bien possible que les 10 millions d’utilisateurs que cumulaient Temu et Ali en janvier 2024 progressent et augmentent rapidement. En effet, pourquoi acheter des pantoufles 20 000 wons sur Coupang ou chez Naver alors que les mêmes articles sont vendus 8 000 wons chez Ali ? L’absence ou du moins la réduction d’intermédiaires permettent de proposer des prix imbattables.

©AliExpress
©AliExpress

De plus, les deux géants chinois parviennent même à proposer bien plus d’articles que l’enseigne Daiso, très connue et très appréciée par les Coréens pour leur quantité de produits et leurs prix bas.

Le gouvernement coréen peut effectivement se poser des questions quant à l’avenir des entreprises locales.

Réunion de l’industrie du commerce électronique

Le 14 février 2024, le ministère du Commerce, de l’Industrie et de l’Énergie a organisé une réunion de l’industrie du e‑commerce. Sous la présidence d’un responsable de la politique des entreprises de taille moyenne à la Chambre de commerce et d’industrie coréenne, plusieurs sociétés nationales du e‑commerce se sont ainsi réunies, dont Coupang, Naver, Eleven Street, Gmarket et SSG.com.

Faire face à l’assaut du c‑commerce

Le e‑commerce chinois, appelé « c‑commerce » est en pleine ligne de mire des acteurs de cette réunion. Ils mettent en avant les difficultés rencontrées, mais pointent aussi le fait que les informations commerciales de Temu et Ali ne sont pas claires.

©Temu
©Temu

Jusqu’à présent, Ali n’attirait pas tellement l’attention, car l’entreprise avait du mal à réduire ses délais de livraison. Ce qui représentait un frein pour les consommateurs. Mais les deux sociétés chinoises ont élargi leurs réseaux logistiques dans toute la Chine, entraînant un sérieux raccourcissement des délais de livraison vers la Corée. Les bas prix ne pouvaient que charmer les consommateurs.

Protéger les PME coréennes

Les prix bas pratiqués par les entreprises chinoises ne seront, à terme, pas si bons pour le marché et la concurrence. Les entreprises coréennes auront de plus en plus de mal à supporter des prix de vente bas. D’autant plus qu’Ali compte installer sa plateforme de vente en gros sur le sol coréen. Cette arrivée et l’expansion commerciale des sociétés chinoises sont de très gros risques à la fois pour le marché de détail et le marché de gros.

Alors que l’esprit dynamique des startups coréennes faisait rêver plus d’un, l’arrivée d’Ali et de Temu est comme un tourbillon. La concurrence est devenue trop difficile et même insurmontable. Par conséquent, la création de nouvelles entreprises dans le commerce de détail s’est étouffée en Corée. La tendance ne pourrait aller qu’en s’empirant.

Même le géant Coupang tremble devant Temu et AliExpress

Société fondée par Bom Kim en 2010, Coupang a révolutionné le shopping en ligne en Corée du Sud avec son engagement envers la rapidité de livraison (Rocket Delivery), la commodité client et une vaste gamme de produits disponibles. La société coréenne est entrée en bourse à New York en 2021 et pèse environ 39 000 milliards de wons (environ 26,6 milliards d’euros) aujourd’hui.

Image promotionnelle de Coupang
Image promotionnelle de Coupang

Malgré sa très bonne santé financière et ses investissements (comme l’achat de Fartech), Coupang est un poids moyen face aux lourds chinois. Pinduoduo, la société mère de Temu est cotée 260 000 milliards de wons (177 milliards d’euros) au Nasdaq. Alibaba, société mère d’AliExpress, est elle cotée 240 000 milliards de wons (164 milliards d’euros) à la bourse de New York. Les sociétés chinoises pèsent donc chacune plus de 6 fois leur concurrent sud-coréen.

Les capacités d’investissement sont automatiquement déséquilibrées entre les entreprises coréennes et chinoises. Malgré ses ventes records en 2023, avec une hausse de 20 % par rapport à 2022, Coupang a de quoi s’inquiéter si rien n’est fait pour ralentir la progression d’Ali et Temu.

Saturation du marché e‑commerce ?

La Corée du Sud compte 38 millions d’utilisateurs mensuels du commerce mobile. Pour l’instant, aucun changement significatif ne pourrait advenir à ce niveau ; le marché sud-coréen du e‑commerce est très mûr, voire saturé. Mais on peut constater des mouvements importants à l’intérieur de ce marché électronique, notamment l’abandon des applications coréennes en faveur de celles chinoises :

  • Entre janvier 2023 et janvier 2024, 880 000 utilisateurs en moyenne sur un mois sont passés de Coupang à Ali.
  • De septembre 2023 à janvier 2024, 1,41 million d’utilisateurs par mois sont passés de Coupang à Temu.

Par conséquent, l’entreprise Coupang qui totalisait à elle seule 30 millions d’utilisateurs par mois, soit près de 80 % du marché, en janvier 2024 pourrait continuer de perdre du terrain à l’instar de ses concurrents sud-coréens.

Cela démontre aussi, comme Korea Forbes le souligne, une forte augmentation du nombre d’utilisateurs dans l’achat direct à l’étranger. La Chine étant naturellement la variable évoluant fortement.

Le gouvernement coréen n’entend pas de rester les bras croisés.

AliExpress et Temu sous les coups de la Corée

À la suite de la réunion du 14 février, le gouvernement a organisé des tentatives afin de ralentir l’expansion commerciale d’AliExpress et de Temu.

Livraison et remboursement : sanctions lancées contre Ali

Le 6 mars, Hankook Ilbo annonce que la Commission coréenne du commerce équitable (Korean Fair Trade Commission, KFTC) a lancé sa première enquête sur place contre Ali. La recrudescence des plaintes de consommateurs concernant la livraison et les remboursements est une aubaine pour la Commission. En cas de demande de remboursement, le client doit souvent attendre plusieurs semaines à cause du temps de fret.

C’est pourquoi la KFTC a réalisé une descente chez AliKorea, la filiale coréenne d’AliExpress, dans le but d’obtenir des données relatives à ses clients. La KFTC enquête ainsi sur les violations présumées de la loi sur le commerce électronique par Ali. En tant que « vendeurs par correspondance », la Commission rappelle qu’ils ont l’obligation de protéger les consommateurs. Des mesures doivent être prises par l’entreprise chinoise pour gérer les plaintes et les litiges avec les consommateurs.

Pour réduire les temps de livraison, AliExpress compte établir des centres logistiques à grande échelle en Corée du Sud en fin d’année 2024.

Étiquetage et publicité équitable

La KFTC examine également s’il y a violations de la loi sur l’étiquetage et la publicité équitable. Le quotidien Chosun Daily indique que « les plateformes peuvent être tenues responsables de recevoir de l’argent des fournisseurs pour afficher leurs produits de manière visible ou de ne pas marquer clairement les publicités comme étant des publicités ».

Contrefaçon

Cependant, la controverse sur les produits contrefaits est plus difficile à résoudre pour la Commission. Car, les lois actuelles considèrent les plateformes de c‑commerce comme des « courtiers de vente par correspondance » et non des « distributeurs de vente par correspondance ». Une différence sensible, mais qui reste importante. Ali n’agit que comme intermédiaire. Difficile donc de tenir l’entreprise pour responsable des produits contrefaits vendus.

Articles contrefaits entassés au bureau des douanes de Pyeongtaek, le 22 février 2024 (©Lee Shin-ye).
Articles contrefaits entassés au bureau des douanes de Pyeongtaek, le 22 février 2024 (©Lee Shin-ye).

La KFTC ne compte pas en rester là. Elle prévoit de mettre l’accent sur la prévention des dommages causés aux consommateurs par des produits contrefaits et sur la protection contre les atteintes à la vie privée.

Le gouvernement coréen face aux géants chinois

Le Chosun Daily annonce le 13 mars que le gouvernement coréen plaide en faveur d’un amendement à la loi sur la protection des consommateurs dans l’e‑commerce. Le but étant, entre autres, d’obliger les plateformes chinoises à proposer des représentants locaux pour traiter les plaintes et résoudre les problèmes avec les entreprises chinoises vendant leurs produits chez Ali ou Temu.

D’autres mesures sont prises.

Produits alimentaires et pharmaceutiques

Le ministère de la Sécurité alimentaire et pharmaceutique souhaite améliorer les pratiques de gestion telles que les demandes de blocage de publicité et les inspections spéciales. L’objectif étant de lutter contre la distribution illégale et la publicité déloyale liée aux produits alimentaires et pharmaceutiques sur les sites et applications d’e‑commerce.

Lutte contre les copies frauduleuses

Douanes régionales d'Incheon effectuant des inspections pour les achats transfrontaliers, le 22 novembre 2023 (©The Chosun Daily).
Douanes régionales d’Incheon effectuant des inspections pour les achats transfrontaliers, le 22 novembre 2023 (©The Chosun Daily).

L’Office coréen de la propriété intellectuelle et le service des douanes coréen apporteront leur soutien à la KFTC pour détecter les marchandises contrefaites. Ces institutions demanderont aux plateformes internationales d’e‑commerce de prendre des mesures de suivi dès réception des données de surveillance gouvernementales sur les produits contrefaits.

Protection des utilisateurs des applications

La Commission coréenne des communications effectuera des audits sur les sites de c‑commerce pour s’assurer qu’ils communiquent clairement les permissions d’accès des applications mobiles. Le but étant de prévenir tout risque de divulgation de données personnelles.

Cette commission sera secondée par le ministère de l’Égalité des genres et de la Famille pour une surveillance accrue des plateformes afin de vérifier qu’elles sont conformes aux règles de protection des mineurs. La vente de produits réservés aux adultes sera donc étroitement surveillée.

Protection des données personnelles

La Commission de la protection des informations personnelles (PIPC) de Corée du Sud a lancé un examen des pratiques de gestion des données personnelles par AliExpress et Temu. L’enquête, annoncée par Ko Hak-soo (chef de la PIPC) lors d’une réunion à Washington, se concentre sur la collecte et l’utilisation des informations personnelles par ces plateformes.

Ko Hak-soo, président du PIPC, le 3 décembre 2023 à Washington (©Hankook Ilbo).
Ko Hak-soo, président du PIPC, le 3 décembre 2023 à Washington (©Hankook Ilbo).

Cette initiative fait suite à des inquiétudes concernant la conformité des entreprises chinoises avec la législation en vigueur sur la protection des données. En particulier en ce qui concerne le transfert d’informations vers des pays tiers.

La PIPC a le pouvoir d’imposer des sanctions en cas de violation des règles.

Les réponses d’Ali et Temu

Les géants chinois du commerce en ligne sont très loin de baisser les bras.

AliExpress

Ray Zhang, représentant d’AliExpress Korea, a tenu courant mars une conférence où il annonce le renforcement des droits de propriété intellectuelle et de la protection des consommateurs. La société chinoise compte aussi investir 1,1 milliard de dollars sur les trois prochaines années pour développer leurs activités en Corée.

Ray Zhang, représentant d'AliExpress Korea, en conférence à l'hôtel Lotte à Séoul (©The Chosun Daily).
Ray Zhang, représentant d’AliExpress Korea, en conférence à l’hôtel Lotte à Séoul (©The Chosun Daily).

L’ensemble des investissements d’Ali proposeront rapidement la généralisation du délai de livraison raccourci à 5 jours pour le marché coréen (au lieu de 3 à 4 semaines). Puis, le centre de logistique prévu sur le sol coréen proposera un délai de 1 à 2 jours. L’entreprise chinoise tend donc à répondre aux exigences des consommateurs en améliorant les services de livraison tout en proposant des prix toujours aussi bas.

Temu

La nouvelle plateforme chinoise d’e‑commerce a récemment créé, le 23 février dernier, une entité (Whale Co.) pour ses opérations en Corée. Cela pourrait peut-être correspondre à la demande faite par la KFTC le 26 mars dernier que toutes les sociétés étrangères de commerce en ligne nomment un agent national. En tout cas, la volonté de Temu est claire : gagner du terrain en Corée du Sud.

Le gouvernement coréen prêt à défendre ses entreprises

L’ascension fulgurante d’AliExpress et Temu en Corée du Sud sonne comme un réveil pour l’écosystème du commerce électronique local. Face à cela, plusieurs questions se posent quant à l’avenir du e‑commerce en Corée. Comment les entreprises locales peuvent-elles se redéfinir pour rester compétitives ? Les mesures réglementaires mises en place par le gouvernement coréen seront-elles suffisantes pour équilibrer le marché et protéger les consommateurs et les PME locales ? Peut-être assisterons-nous à une transformation des modèles d’affaires locaux, poussant les entreprises coréennes à innover davantage.


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